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SEMINAIRES

 

 

Sources philosophiques de la pensée de Lacan

 

La formation du psychanalyste doit inclure, pour Jacques Lacan, l’antiphilosophie – qui est mise en oeuvre originale du savoir philosophique dégagé de son appropriation par le discours universitaire. Il ne s’agira donc pas de se rapporter à une œuvre ou à un système philosophique du point de vue de sa totalité mais d’en dégager des fragments pour éclairer des concepts de la pratique et de la théorie psychanalytiques.

 

 

 

Socrate, le transfert, l'amour

Savoirs et clinique

Lille

2006-2007

 

 

 

La Chose

Savoirs et clinique

Lille

2007-2008

 

Qu’est-ce que la Chose ? C’est ce qui constitue le centre du sujet, soit un objet interne et inaccessible : objet de la jouissance interdite, la Chose caractérise le plus intime du sujet comme ce qui aimante son désir et conditionne les circuits de sa jouissance. Nous nous attacherons à cerner au plus près cette notion en nous rapportant à des  références – Kant, Schopenhauer, Heidegger notamment – permettant de saisir celle-ci suivant divers aspects essentiels.

 

 

 

Le réel

Savoirs et clinique

Lille

2008-2009

 

Qu’est-ce que le réel ? Le réel n’est pas la réalité, il en est même le dehors si la réalité peut être conçue comme un dispositif imaginaire et symbolique. Le réel est alors l’impossible ; part irréductible du sujet à partir de laquelle se constituent son fantasme et son désir. Le réel participe ainsi de la structure du sujet. Que le symbolique fasse défaut, que l’imaginaire s’effrite, que le fantasme se dissolve, et c’est le dévoilement, toujours déroutant, du réel. Qu’est ce que la réalité ? N’est-elle qu’une fiction ? Quelle est cette part inappropriable « qui ne cesse pas de ne pas s’écrire » ? C’est à ces questions que nous nous attacherons en nous rapportant à des auteurs — Berkeley, Bentham, Bataille — qui permettent de saisir la notion de réel dans l’enseignement de Lacan. 

  

 

 

La scène

Savoirs et clinique

Lille

2009-2010

 

Si Freud désigne par l’autre scène, la scène du rêve distincte de l’existence éveillée, Lacan fait de cette existence un théâtre symbolique et imaginaire se constituant à partir du réel – qui est ce à partir de quoi ce théâtre fait sens. Qu’est-ce à dire sinon que le sujet est, à son insu, simultanément mis en scène et metteur en scène ? Ou encore que la psychanalyse dévoile une véritable scénographie et dramaturgie du sujet ? 

Nous nous attacherons alors à déterminer cette notion de scène – en nous rapportant à quelques références philosophiques – en nous intéressant plus particulièrement aux emplois divers de cette notion dans l’enseignement de Lacan, et aux apports théoriques et cliniques que ces emplois mettent en oeuvre. 

 

 

 

Voracité de l'angoisse

Savoirs et clinique

Lille

2010-2011

 

Lors de la première séance du séminaire L'angoisse (1962-1963), Lacan imagine l'apologue suivant : un sujet portant le masque d'un animal – ignoré de lui – et se trouvant face à une mante religieuse géante – sans pouvoir observer sur la surface de ses globes oculaires comment elle le voit – sera dans la crainte et l'incertitude d'être dévoré. L'angoisse se manifeste donc quand le sujet ne sait pas de quel désir il est l'objet de la part de l'Autre ; objet possible de la dévoration par l'Autre. Aussi Lacan éclaire-t-il la proposition énigmatique de Freud selon laquelle l'angoisse serait sans objet.

En nous rapportant à quelques références philosophiques – particulièrement empruntées à Kierkegaard –, c'est à cet événement de l'angoisse que nous nous intéresserons en nous attachant plus particulièrement à saisir comment cette rencontre avec l'Autre provoque le vacillement du sujet et lui signale le risque de son abolition.

 

 

 

L'amour

Savoirs et clinique

Lille

2011-2012

 

À travers la posture de Socrate – telle que Lacan s’y réfère dans l’œuvre de Platon, l’interprète et la déploie tout au long de son enseignement –, nous nous attacherons à élucider comment cette figure formule le sens et l’opération du transfert dans la pratique et la théorie lacaniennes. Plus précisément, c’est à l’amour et à l’énigme fondamentale qu’il constitue pour chaque sujet que nous nous intéresserons - qu’est-ce qu’aimer ? – en interrogeant le séminaire Le transfert – et en reprenant, notamment, la lecture que propose Lacan du Banquet de Platon.

 

 

 

Le parcours de la sexuation

avec Franz Kaltenbeck

Savoirs et clinique

Lille

2012-2013

 

L’acte de naissance d’un sujet contient la mention de son sexe. Est-il si sûr pour autant qu’il naisse homme ou femme ? Ne lui faudra-t-il pas accomplir un long périple avant d’atteindre une identité ? Ne devra-t-il pas traverser de nombreuses crises, dont la puberté, pour pouvoir agir comme un être sexué ? Lorsqu’il investit ses premiers objets d’amour, l’enfant est corrélativement accepté ou rejeté comme objet de désir. La place qu’il trouve et celle qu’il cherche dans le désir de l’Autre, toutes deux auront une influence certaine sur son identité sexuelle. Qu’on le désigne comme homme ou femme à l’état civil, ne signifie pas qu’il doive s’y plier. Il peut accepter son sexe, le mettre en doute (hystérie), refuser son univocité (bisexualité) ou encore le rejeter avec conviction pour en changer (transsexualisme).

Dès sa correspondance avec W. Fliess, S. Freud a décrit les aléas du développement sexuel et, avant tout, les embûches traumatiques semées sur son chemin. Celui-ci comporte à la fois des choix qui s’ouvrent pour l’être parlant, les coercitions auxquelles il est soumis et les traumatismes qu’il subit. Dans ce parcours se nouent donc d’une façon complexe la contingence des rencontres de hasard, la nécessité de symptômes liés à des fantasmes et un impossible à supporter qui est le réel du sexe. C’est pourquoi la psychanalyse du sexe n’est pas compatible avec la réduction de celui-ci au genre, pensé comme une construction socioculturelle, historique et politique. Ces déterminations contribuent sans doute à l’identité sexuelle, et les représentants des Gender studies s’opposent à juste titre aux explications biologistes de la différence sexuelle. Mais ils ignorent trop souvent le réel du sexe, issu de ce parcours heurté.

« L’anatomie est le destin », cette phrase écrite par Freud en 1923 a engendré beaucoup de malentendus. On imagine un Freud borné par les données biologiques. Il a pourtant été le premier à théoriser les incertitudes de l’identité sexuelle dont témoignaient des femmes et des hommes en analyse, et tenu compte de leur malaise face au carcan d’une sexualité socialement convenue. Plus Freud avançait dans ses recherches, plus il s’éloignait de l’idée d’une sexualité normale : la vie sexuelle de l’être humain civilisé lui semblait « gravement endommagée ». Il alla jusqu’à préciser que ce qui nous y refuse (versagt) la pleine satisfaction n’est pas la « pression de la culture » mais « quelque chose relevant de l’essence de la fonction même » de la sexualité.

Suivant Freud à la trace, Lacan a fait pivoter sa théorie de la différence sexuelle autour de ce terme de « fonction », en créant une « logique de la sexuation ». Celle-ci reflète la dialectique entre la liberté du sujet et les contraintes impliquées par le choix de son sexe. Il nomma cette fonction « phallique », mais le phallus ne domine pas les deux sexes de la même manière, la femme ne s’inscrivant « pas toute » dans cette fonction. Lacan rejette l’idée qu’un homme ou une femme reçoivent leur identité sexuelle de leurs seuls caractères sexuels primaires et secondaires ; elle ne vous est pas non plus décernée par votre environnement familial, social, historique et politique. Le sujet peut s’inscrire dans la vie comme homme ou comme femme mais il s’agit d’un choix vertigineux et sans filet de secours. D’une part parce que l’Autre qui déciderait de ce choix à votre place et vous en soulagerait fait défaut. D’autre part, parce que les femmes et les hommes n’entrent dans aucun rapport sexuel (symétrique, spéculaire, complémentaire, algébrique, harmonieux) qui puisse s’écrire d’une façon scientifique, même s’ils entretiennent des relations sexuelles. C’est ce qui se lit dans les formules de la sexuation, élaborées par Lacan entre 1971 et 1973.

Le parcours de la sexuation a donc une double portée : c’est d’abord celui du sujet, comme il a été décrit par Freud et ses élèves ; c’est ensuite le parcours de la théorie psychanalytique des années 1970, avancée par Lacan et explicitée par quelques psychanalystes après lui. Dans ce séminaire, nous présenterons la théorie de la différence sexuelle et la logique de la sexuation à partir des séminaires et écrits de Lacan (1971-1974) avec leurs références dans l’oeuvre de Freud et de ses élèves.

 

 

 

Les jouissances et le désir

avec Franz Kaltenbeck

Savoirs et clinique

Lille

2013-2014

 

La jouissance nous agite tous, nous, les êtres parlants. Nous y aspirons notre vie durant, non sans prendre des risques sérieux. Mais, si la jouissance, à la différence du plaisir qui nous maintient dans un certain équilibre, peut être souffrance voire nous amener à une « descente vers la mort », elle nous fournit aussi matière à penser, comme le prouve la littérature : Proust, Gide, et bien d’autres auteurs n’écrivent-ils pas une sorte de « Journal » de leurs jouissances ?

Dans le champ de la psychanalyse, Lacan a produit un savoir sur les différents types de jouissance et a ouvert ainsi, pour longtemps, des perspectives novatrices. Pour n’en prendre qu’un exemple, le savoir sur la jouissance issu de l’expérience clinique a engendré une « logique de la sexuation », soit une logique de la façon dont on devient (ou pas) homme ou femme, indispensable pour s’y retrouver dans les discussions actuelles sur les théories opposant sexe et genre.

Au cours de la première décennie de son Séminaire, dans les années 50-60, Lacan s’était davantage intéressé au désir, dont il a élaboré la structure, articulée au langage, en s’appuyant sur Freud et sa théorie de l’inconscient, revisitée avec la linguistique structuraliste. Relisant Hamlet avec ces outils, il met l’accent sur la relation du deuil au désir, incandescente dans cette tragédie de Shakespeare.

« Désir » et « jouissance » pourraient à première vue paraître antagonistes. Parce qu’il est réglé par le fantasme et évolue dans la finitude, on parle du désir au singulier, tandis que les jouissances, qui peuvent dépasser les bornes du supportable, sont, elles, multiples : jouissances sexuelles, jouissance phallique, jouissance féminine, jouissance de la vie et bien d’autres encore. Le désir, étant borné, est justement ce qui nous sert à nous défendre contre la demande écrasante de la pulsion de mort qu’enveloppent certaines jouissances excessives ou illimitées.

Le désir, défini par Lacan comme la différence entre le besoin et la demande, s’articule au symbolique alors que la jouissance est ce qui échappe au langage, donc du ressort du réel qui se présente comme impossible à supporter. Mais cette opposition conceptuelle peut s’avérer trompeuse dans sa symétrie, car à la différence de l’animal voire de la plante, dont Lacan suppose qu’ils jouissent eux-aussi, la jouissance de l’homme n’est pas concevable sans le langage ni la parole.

La mère, en parlant à son enfant nourrisson, l’initie à la jouissance. L’enfant devra se séparer d’elle grâce à l’intervention d’un tiers - père,substitut du père ou institution sociale, qui lui permettra de créer des symptômes séparateurs, hélas parfois pénibles. Déchiffrant plus tard ces symptômes, à travers son interprétation, le psychanalyste établit une relation entre la parole et la jouissance qui défait le symptôme et révèle le désir.

Par ailleurs, dans notre vie sexuelle, la jouissance rejoint le désir grâce à l’amour. Même la loi du père, considérée comme une autre face du désir, permet des passages entre le désir et la jouissance. Au-delà de la théorie freudienne, la castration apparaît alors comme une négation ou un refus de la jouissance.

Il s’agira, dans notre séminaire, d’éclairer la théorie du désir par celle des jouissances et inversement.

Franz Kaltenbeck étudiera le désir pervers à la lumière de la théorie de la sexuation, en partant des huit dernières leçons du Séminaire, Livre  VI, Le désir et son interprétation, de Lacan, qui portent sur la perversion.

Frédéric Yvan commentera les trois premières parties du même Séminaire, en mettant l’accent sur l’acte interprétatif du psychanalyste qui doit toucher le fantasme.

 

 

 

Sexe, amour et genre

avec Franz Kaltenbeck

Savoirs et clinique

Lille

2014-2015

 

On a longtemps prétendu que la difficulté de parler de la sexualité venait de ce qu’elle était sulfureuse, réprimée, interdite. Or, les sociétés rejettent, à diverses époques, non pas la sexualité mais celles de ses formes qu’elles estampillent d’ «anormales». Dans certains pays par exemple, les homosexuel (le) s sont encore aujourd’hui persécuté (e) s mais pas vraiment les violeurs. Ce n’est donc pas la sexualité qui dérange mais son intelligence, car celle-ci amène à la tolérance et au changement. Lacan en savait un bout : «Le scandale intolérable au temps où la sexualité freudienne n’était pas encore sainte, c’était qu’elle fut si ‘intellectuelle’ 1 ». Il faut donc une certaine spiritualité pour en parler, sinon il n’y aura que la «malédiction du sexe» et sa haine.

 

Celles-ci se sont encore manifestées récemment à propos de «La théorie du genre». Qu’est-ce qu’on n’a pas entendu comme inepties à propos de la simple tentative de promouvoir l’égalité entre les filles et les garçons ! Des réactionnaires affirmaient que les enseignants prôneraient désormais la confusion des genres, leur interchangeabilité! Or, la réponse des promoteurs de cette notion à cette attaque mensongère n’était pas à la hauteur : il n’y a pas d’endoctrinement des enfants, disaient-ils, parce qu’il n’y a pas de «théorie du genre» mais seulement son «étude»! Or on définit bien le genre comme «l’attribution au sexe physique d’une signification sociale et culturelle». Si le genre manque de théorie, comment manier son concept?

 

Freud, pour sa part, a écrit, entre 1905 et 1915, une Théorie sexuelle2, dont les spécialistes du genre citent souvent le passage où il note que pour l’être humain «on ne trouve pas de pure masculinité ou féminité ni au sens psychologique ni au sens biologique». Aussi a-t-il ouvert la voie à ses disciples Hélène Deutsche, Ernest Jones, Karen Horney, entre autres, pour réfléchir sur ses découvertes du complexe de castration et de la phase phallique. Ils voulaient savoir ce que les hommes et les femmes avaient en commun et ce qui les distinguait. À partir des années 1930, la féminité devint le domaine principal de cette recherche. Lacan l’a renouvelée dès 1958 et a créé, en 1970, une logique souple et rigoureuse à la fois pour dire ce que pouvaient signifier les mots «homme» et «femme». Des analystes se réclamant de son enseignement,ajoutent de nouveaux résultats théoriques et cliniques à l’édifice de la sexuation(devenir homme ou femme) dans des ouvrages accessibles à tous. Nous renvoyons ici à ceux de Geneviève Morel3.

 

Au cours du séminaire de Franz Kaltenbeck, nous parlerons cette année sans exclusivité mais non sans critique du genre, du sexe mais aussi de leur lien à l’amour du point de vue de l’analyste. Sexe et genre sont à notre avis compatibles et peut-être même complémentaires. Le savoir sur le sexe que la psychanalyse engendre vient de sa pratique qui est par principe intime. L’étude du genre, opérant dans un registre souvent public, considère l’histoire de cette notion. Fleuron du discours de l’Université, elle procède par expansion, intégrant toujours plus de domaines : la politique, les classes sociales, le colonialisme, le racisme, par exemple.

 

Pour la psychanalyse, le sexe pose avant tout le problème de la relation du sujet à l’autre qu’il soit homme ou femme. Lacan distingue entre «relation» et «rapport». Seule la première peut porter l’épithète «sexuelle», pour le second c’est impossible car le rapport sexuel ne peut pas s’écrire.

 

Nous travaillerons sur la base des Séminaires comme Encore (1972-1973) où Lacan reprend ses formules de la sexuation sous la forme d’Une lettre d’amour. Les étudiant (e) s du genre se sont ils/elles assez penché (e) s sur la passion amoureuse? Ensemble, nous étudierons dans ce séminaire comment des hommes et des femmes en tout genre se débrouillent avec cet impossible rapport.

 

Les débats concernant le droit au mariage entre personnes de même sexe et la Loi sur la famille ont fait apparaître assez clairement, dans le discours commun, les représentations collectives du genre – homme / femme – en même temps qu’ont été médiatisées, non sans confusions ni raccourcis, les études de genre – Gender Studies – engagées et développées à l’université depuis le milieu du XXe siècle.

 

Aussi, dans le cadre du séminaire de Frédéric Yvan, nous chercherons à confronter ces représentations collectives et certains concepts ou notions propres aux Gender Studies à l’intimité individuelle du genre; le discours commun et celui des études de genre apparaissant négliger la dimension subjective et singulière du rapport au sexe. C’est en ce sens que nous nous référerons à des témoignages individuels recueillis à l’occasion d’un ou de plusieurs entretiens.

La psychanalyse face aux croyances, aux convictions et à la certitude

Avec Franz Kaltenbeck

Savoirs et clinique

Lille

2015-2016

 

Nos croyances et certitudes ne se cantonnent pas à notre seule vie intellectuelle. Et elles ne concernent pas uniquement nos représentations religieuses. En effet, ce que nous croyons ou tenons pour certain nous pousse à agir. Or, un acte peut viser le bien, l’utile ou le sublime comme le mal radical. Les pires exactions terroristes ne se commettent-elles pas au nom d’idéologies totalitaires mais aussi de prétentions religieuses ?

La psychanalyse ne se contente pas de traiter la croyance et la certitude sous un angle philosophique ou théologique. C’est en écoutant des sujets hystériques, obsessionnels et aussi psychotiques que Freud s’est rendu compte de la faille qui s’ouvre lorsqu’ils approchent d’un certain point : la croyance peut s’effondrer, la certitude peut devenir délirante, non sans conséquences déterminantes. La psychanalyse ne stigmatise pas mais interroge ce que le repérage de ces failles nous apprend sur notre pensée et nos actes.

Trente ans avant de rédiger sa critique de la religion dans « L’avenir d’une illusion » (1927), Freud découvrit quelque chose d’essentiel sur le refus de la croyance dans la paranoïa, qui lui permit de démarquer les névroses des psychoses. Tandis que l’hystérique ou l’obsessionnel réagit à une expérience ou représentation sexuelle « incompatible » avec sa conscience morale et ses idéaux en la refoulant et en produisant un symptôme invalidant, le sujet psychotique refuse d’y croire et la rejette (au sens d’une forclusion). En même temps, il projette sur l’autre le reproche d’y avoir cédé ou d’ être susceptible de le faire.

Cette découverte clinique incisive, qui prend aujourd’hui tout son sens politique, serait passée inaperçue si Lacan ne l’avait pas relevée en relisant d’une façon créatrice les écrits du jeune Freud. Le terme d’Unglaube (absence de croyance) ne se trouve en effet qu’à un seul endroit de l’œuvre freudienne : la défense paranoïaque se manifeste, écrit Freud à son ami Fliess, dans cette absence de croyance du sujet paranoïaque1.

Lacan enchaîne : « Au fond de la paranoïa elle-même, qui nous paraît pourtant tout animée de croyance, règne ce phénomène de l’Unglaube2 ». À la différence du petit garçon qui refuse pendant un certain temps de croire à la castration3, certains patients, tels l’Homme aux loups, s’installent pour toujours dans leur refus de croire à la jouissance ou à la castration dans l’expérience qui les scandalise – un scandale dont le responsable serait leur prochain. La trouvaille de Freud pourrait nous aider à expliquer l’étrange contradiction chez ceux qui se disent « croyants » et ne reculent pourtant devant aucune violence.

Homme de la raison, Freud n’avait de cesse de mettre la croyance – religieuse ou simplement cognitive – en question. Il ne se contentait pas de distinguer « croire » et

« savoir » mais posait aussi la question : est-ce qu’il suffit de croire à l’inconscient ? S’il préfère en 1937 le terme de conviction4 (« conviction de l’existence de l’inconscient ») à celui de croyance, c’est parce qu’il exige une épreuve collective, ou du moins des témoignages, pour fonder cette existence. C’est d’autant plus nécessaire que, dans l’inconscient, nous ne disposons pas de « degré dans la certitude ». Et puis, on ne découvre pas son inconscient sans un autre, l’analyste.

Par ailleurs, est-ce que le pouvoir de la religion repose sur son « contenu de vérité » ? Oui, répond Freud, en 1935, alors qu’il écrit son Moïse, mais la vérité de la religion n’est pas matérielle, elle est historique.

Quant à la certitude, Lacan a tenté d’en donner la formule grâce à une « logique collective », mettant en scène dans un « apologue » trois « prisonniers » qui parviennent à une certitude libératrice. Quelques années plus tard, il nous ramène à la clinique des psychoses : dans son séminaire de 1953-1954, il enseigne que le psychotique, loin de croire à ses hallucinations, n’a qu’une certitude, à savoir que ses voix le concernent.

Franz Kaltenbeck étudiera cette année le Séminaire inédit de 1966-1967, « La logique du fantasme », où l’on trouve une lecture étonnante du fameux cogito ergo sum (« Je pense donc je suis »). Descartes aboutit à sa certitude de l’existence du « Je » en soumettant le savoir entier à un doute méthodique. La relecture du cogito par Lacan l’amène à sa théorie de la fin de l’analyse et donne aussi le fondement de l’acte, du passage à l’acte et de l’acte analytique.

À partir de la lecture de textes extraits de Névrose, psychose et perversion (1894-1924) de Freud, du « Commentaire parlé sur la Verneinung de Freud » (1954), de Jean Hyppolite, et d’autres textes issus de l’enseignement de Lacan, Frédéric Yvan s’intéressera à ces trois modalités du jugement, Bejahung, Verneinung et Verwerfung – affirmation ou confirmation, (dé) négation et forclusion – et plus précisément aux régimes et dispositifs spécifiques de croyance et/ou certitude qu’elles déploient.

Dans ce séminaire, nous demanderons donc à la psychanalyse comment elle aborde les concepts de la croyance et de la certitude. Qu’apporte-t-elle de spécifique à ces concepts, au-delà de la philosophie et de la théologie ? Comment Freud et Lacan ont-ils élucidé le fait religieux ? Qu’est-ce que la psychanalyse a à dire sur le redoutable détournement de la croyance dans le terrorisme qui nous menace aujourd’hui ? Nous essayerons d’y répondre et inviterons les participants à intervenir par leurs contributions cliniques ou en exposant leurs lectures.

 

1 Sigmund Freud, Lettres à Wilhelm Fliess, Francfort, lettre du 30 mai 1896. Le lecteur germanophone lira avec avantage le bel article de Michael Turnheim, « Der Unglaube in der Psychose », in Freud und der Rest. Vienne 1993, Turia und Kant, p. 23-33.

2 Jacques Lacan, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse. Texte établi par Jacques-Alain Miller, Paris, Le Seuil, 1973, p. 2015-216.

3 Sigmund Freud, « Le clivage du moi dans le processus de défense », in Résultats, idées, problèmes, traduit par Roger Lewinter et J.-B. Pontalis, Paris, PUF, 1985, p. 284.

4 Sigmund Freud, « L’analyse avec fin et l’analyse sans fin », traduit par J. Altounian, A. Bourguignon, P. Cotet, A. Rauzy, in Résultats, idées, problèmes, Paris, PUF, 1985, p. 264.

 

 

Angoisses collectives – Masses, groupes, liens

Avec Franz Kaltenbeck

Savoirs et clinique

Lille

2016-2017

 

Une foule humaine – une « masse » disait Freud – ne se trouve pas dans la nature. Une foule n’est pas une meute ni un troupeau – même si, pour Hobbes, l’homme était un loup prêt à dévorer ses congénères.

Lorsque Freud décrit la « morphologie des masses », il distingue les « masses furtives » des « masses « permanentes » ; les « masses naturelles » des « masses artificielles » ; les « masses primitives » des « masses organisées », mais il oppose surtout les masses qui ont un guide (Führer) à celles qui en sont dépourvues. Ainsi l’église et l’armée sont des masses artificielles et permanentes qui ont servi de modèle non seulement aux partis politiques mais aussi à l’Association Psychanalytique Internationale. Lacan a voulu créer une alternative à cette structure en fondant sa propre école de psychanalyse sur un modèle différent : d’où, en 1970, sa théorie des « quatre discours » comme autant de liens sociaux distincts (discours de l’hystérique, du maître, de l’université et du psychanalyste).

Dans Psychologie de masses et analyse du moi, de 1920, Freud fait date en développant l’une des premières théories du fascisme. Il y explique pourquoi les masses sont des collectifs à la fois angoissés et anxiogènes, pourquoi elles peuvent imposer à l’individu une discipline de fer et le pousser à une violence extrême. Pour qu’une masse puisse se former, les individus qui la composent doivent lui abandonner quelque chose de précieux : leur idéal du moi. Si la foule est organisée par un chef, ses membres doivent remplacer leur idéal du moi par un objet souvent minable, une sorte de dénominateur commun prélevé sur la personne de ce leader. Dans le cas du nazisme, Lacan a montré le côté dérisoire de cet objet en l’incarnant dans la moustache d’Hitler. Mais il ne faut pas oublier un autre trait du leader, la voix grâce à laquelle il galvanise les foules.

Freud n’a pas élaboré une théorie des groupes. Ce travail a été fait ultérieurement par les psychanalystes anglais, pendant et après la deuxième guerre mondiale. On peut renvoyer ici à l’article de W. R. Bion, « Recherches sur les petits groupes » (1961). Il s’agit ici de groupes thérapeutiques.

 Mais il ne faudrait pas oublier la charge négative des groupes. Les attentats terroristes de nos jours ne sont commis ni par des masses de combattants ni par des loups solitaires mais par des groupes d’individus qui se sont parfois rencontrés en prison et/ou sur les réseaux sociaux.

Dans une perspective freudienne, le concept de lien remonte aux liens d’amour et de haine dans la famille et, au-delà, dans la société. Le lien naît de la libido par laquelle le sujet investit l’autre comme un objet. Lacan élabore plutôt le lien dans sa dimension discursive, ce qui lui permet de montrer comment le sujet, le pouvoir, le savoir, et la libido sont distribués grâce aux liens sociaux. Sa théorie des discours doit se lire avec ce que Foucault, son contemporain, a écrit sur le pouvoir, le savoir, la vérité et le sujet.

On compare souvent la crise d’aujourd’hui à celle des années 1930. Or tout le monde peut constater que nous ne répétons pas la catastrophe de cette époque sombre. Et pourtant, même la classe moyenne s’attend aujourd’hui au pire. Elle craint sa propre disparition alors qu’elle ne souffre pas des énormes difficultés des classes populaires qui n’ont presque plus rien.

Il n’est pas nécessaire de voyager bien loin pour rencontrer la misère car nous l’avons sous les yeux. Nous apprenons tous les jours ce que signifie être en danger de mort, perdre sa maison, son pays. Et pourtant, ce ne sont pas les images de guerre, le sort des réfugiés et la terreur qui nous dérangent le plus sinon le sentiment d’un inexorable déclin.

À la différence de l’intervalle entre les deux guerres mondiales du XXème siècle, on peut diagnostiquer un autre problème pour notre époque. Nous ne vivons plus dans l’espoir progressiste de nouvelles découvertes scientifiques et technologiques. Les révolutions dans l’art et dans les lettres semblent être désormais derrière nous. Mis à part les chercheurs et militants préoccupés par le changement climatique, nombreux sont ceux qui ferment les yeux face aux catastrophes écologiques qui s’annoncent. C’est ce qu’on appelle un déni de réalité.

Certes, nous souffrons aujourd’hui d’angoisses collectives. Notre société a peur de la faillite économique, de l’immigration, du terrorisme qu’elle confond parfois.

Mais on peut se demander si l’objet de son angoisse ne se situe pas ailleurs, à savoir, en elle-même. Ayant perdu l’assurance d’assumer les défis de l’époque, notre société ne craint pas tant l’ennemi extérieur, la déchéance économique ou les catastrophes naturelles que son propre effondrement face aux efforts nécessaires pour dépasser la crise. Pour conjurer cette peur, elle opte pour son propre isolement, voudrait faire du pays une forteresse ou répondre à l’appel d’offre de régimes autoritaires. Et c’est cette faiblesse qui nourrit encore davantage l’angoisse collective.

En bref, si l’origine du fascisme se situe dans l’effacement de l’idéal du moi en faveur de l’aliénation du sujet par un chef autoritaire, l’angoisse sociale de nos jours est due au manque de courage de notre société pour assumer les efforts nécessaires à juguler la crise économique, écologique et spirituelle. L’individu pâtit de cet abandon de soi généralisé qui s’ajoute à ses symptômes personnels.

En 2016-2017, nos travaux porteront sur la relation entre le danger collectif et les destins individuels dans notre société. Nous nous appuierons sur de nombreux concepts de la psychanalyse : masse, groupe, lien social, libido, idéal, affect, angoisse, discours, etc. Nos recherches, à la fois théoriques et cliniques, et nos enseignements viseront à montrer l’impact, sur le discours du psychanalyste et celui de l’analysant, des tensions sociales et des angoisses collectives mais aussi des tentatives de transformer la société. Comme les années précédentes, les participants seront invités à présenter leurs contributions à partir de leurs observations, réflexions, pratiques et lectures.

L’enseignement de Franz Kaltenbeck portera sur « Masse et lien ». D’une part, il travaillera sur les théories de la masse chez Sigmund Freud, Jacques Lacan, Elias Canetti et Etienne Balibar ; d’autre part sur le lien dans la perspective freudienne et celle de Lacan.

Frédéric Yvan s’intéressera plus particulièrement à la question de l’altérité dans son rapport au politique en se référant tant aux écrits de Freud qu’à ceux qu’à Lacan ; mais également à des philosophes s’étant attaché à penser l’autre dans le champ social - tel que Georg Simmel - ou ayant introduit la psychanalyse dans le questionnement politique - tel que Cornélius Castoriadis.

 

 

L’obstacle : le désir et son inhibition

Frédéric Yvan

Savoirs et clinique

Lille

2018-2019
 

L’incompréhension dans le couple, les occasions manquées de carrière, l’épreuve d’un décès, la maladie, l’accident, ou encore divers ratages, ces exemples familiers montrent que la vie ne manque pas d’obstacles. Dans la comédie noire de Martin Scorcese After hours (1985), Paul Hackett, un jeune informaticien frustré et un peu coincé, se décide finalement à rejoindre Marcy, qui lui a laissé son numéro de téléphone quelques heures auparavant, pour une nuit qu’il espère torride. Mais, à peine sorti de chez lui pour la rejoindre, Paul va affronter une série d’obstacles (billet de 20 dollars qui s’envole du taxi, cambrioleurs maladroits, videur de boîte de nuit voulant le tondre, policiers refusant de l’écouter…) qui vont rendre cette rencontre impossible! Le film se termine sur le retour solitaire de Paul au lieu même d’où il était parti le soir. L’informaticien Paul Hackett n’a-t-il pas été hacked (piraté) par son désir inconscient? Le cinéaste n’a-t-il pas mis en scène les obstacles sur lesquels nous avons tous buté? Le ratage réitéré d’un examen dont le contenu est pourtant bien connu, la panne sexuelle alors que le désir est à son acmé, le rendez-vous ardemment désiré et raté, etc. L’obstacle extérieur, qui survient comme au hasard, fait résonner quelque chose de notre inconscient: qu’est-ce qui nous empêche d’agir et nous enferre parfois dans une insupportable répétition? Qu’est-ce qui nous conduit à l’échec et nous enlise malgré nos efforts pour nous en sortir? D’où viennent ces obstacles et la psychanalyse permet-elle de les contourner, de mieux s’en dégager? L’être humain fait d’abord l’expérience de l’obstacle imaginaire du moi. Le mythe de Narcisse, condamné à s’éprendre de sa propre image pour n’avoir pas su répondre à l’amour de l’autre, évoque le problème structurel du rapport spéculaire du moi à luimême. Lacan a montré, dans Le Stade du miroir comme formateur de la fonction du Je (1949), notre aliénation fondamentale au monde des images. Le moi est réduit à une immobilisation factice fixée dans une image: «Je suis moi», «Je me reconnais dans le miroir». D’où l’impossibilité de tout rapport authentique à un autre puisque le moi ne s’y rapporte toujours qu’en miroir. Il en résulte une inhibition qui ne peut être levée qu’en se déprenant de ces mirages imaginaires. Mais le parlêtre – l’être de l’homme étant dans la parole, il «prend être de la parole1» – doit aussi affronter l’obstacle du langage dans son rapport aux autres et au monde. D’une part, la réalité, dans sa diversité foisonnante, excède le langage; le mot constitue un obstacle puisqu’il n’est que la trace affaiblie d’une expérience qui échappe. D’autre part, parler nous divise, intimement et nous sépare de l’autre: il n’y a jamais compréhension parfaite et l’on risque toujours un malentendu. Il y aussi l’obstacle sexuel: au contraire de l’harmonie rêvée entre les sexes, Lacan a montré qu’ «il n’y a pas de rapport sexuel». Si c’est son aphorisme le plus connu, il n’est cependant pas le plus simple à comprendre. L’obstacle du sexe est l’obstacle fondamental, celui qui «ne cesse pas de ne pas s’écrire» mais que l’amour peut cependant essayer de dépasser. Si l’on suit Freud, l’obstacle peut être rapproché du terme allemand de Hemmung2, qu’on traduit par «inhibition», soit un ralentissement, un freinage ou une immobilisation. Mottorradrennen III (Courses à moto), de Dieter Roth – reproduit en couverture de la brochure – manifeste cette action du freinage dans lequel le sujet s’enlise toujours davantage au fur et à mesure de son avancée. C’est que, comme Freud l’a montré, l’individu n’est pas passif mais qu’au contraire il peut produire, activement, un tel obstacle dans la mesure où le moi a le souci d’éviter le conflit avec une double altérité interne, le ça démonique des pulsions et le surmoi policier. Par suite et de façon contradictoire, on s’active alors à ne rien faire. L’obstacle fait donc l’objet d’un véritable travail de la part de l’être humain qui développe différentes stratégies pour saper sa performance comme le montre l’obsessionnel, expert en «trucs» pour «se mettre des bâtons dans les roues». Pour contrebalancer ces effets négatifs de l’inhibition, notons que, positivement, les pulsions inhibées quant au but permettent l’amour, qui mêle tendresse et sensualité, et que l’amoureux feint l’obstacle pour en relancer justement sa valeur d’affect. Et, si nous sommes la cause de l’obstacle, de sa dis-fonction, n’y a-t-il pas des cas où nous nous désinhibons au contraire, en nous affranchissant alors des obstacles en tant que contraintes sociales et/ou persécutrices? Rien n’arrête l’humoriste faisant un pied de nez à la régulation sociale des pulsions. Rien n’arrête non plus le héros ni le criminel. Examiner l’obstacle comme produit à son insu par le parlêtre montre que, si le phénomène de l’obstacle se définit dans un premier temps par un disfonctionnement, il révèle alors, dans un second temps, ses causes inconscientes et la place qu’y prend activement l’individu; causes pour lesquelles il est hyperactif en son propre empêchement. Entreprendre une psychanalyse peut alors permettre à individu inhibé d’identifier ces causes inhibitrices, et de produire un «savoir y faire» avec l’obstacle – voire même de le dépasser. C’est à cette thématique de l’obstacle, du désir et de son inhibition que nous nous intéresserons cette année. Frédéric Yvan s’attachera à développer des problématiques convoquées par celle-ci et recevra ensuite, à chaque séance, un intervenant qui viendra exposer une réflexion clinique ou théorique concernant ces mêmes notions. Un temps sera consacré à chaque fois à la discussion et à l’échange avec les participants du séminaire.

 

Sibylle Guipaud et Frédéric Yvan

 

1 Jacques Lacan, Conférence «…Ou pire», 1972.

2 Sigmund Freud, Inhibition, symptôme, angoisse (1925), Paris, PUF, 2016.

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